Le résultat de la pratique martiale (xi quan yi de)

Texte issu d'un recueil de maître Wang Xiangzhai traduit par Christophe Lopez

Maître Wang Xiangzhai

On dit communément qu'il faut être en bonne santé pour accomplir de grandes choses. Cela signifie que la bonne santé du corps permet de prolonger la vie ce qui permet par la suite de s'engager dans de grandes affaires. C'est pourquoi la santé est extrêmement importante. La santé dépend du savoir vivre et d'une pratique sportive appropriée c'est-à-dire d'une pratique sportive compatible avec une bonne hygiène de vie. Il est nécessaire d'étudier en profondeur et de se livrer à des vérifications pragmatiques. Au final, qu'est-ce qu'une pratique sportive normale? Avant d'entamer un entraînement sportif  il convient de tester, selon les méthodes médicales, sa capacité cardiaque, sa pression artérielle, la fréquence de son pouls et de son rythme respiratoire, le nombre des ses globules blancs et rouges. Puis, après un certain temps passé à s'entraîner, il faut se livrer à nouveau à ces tests. De la sorte, on est à même de savoir si le sport pratiqué est normal ou non. Ce qu'on appelle une pratique sportive normale, désigne une pratique apte à favoriser le développement naturel du corps. Seuls ceux qui s'adaptent à une telle pratique sportive peuvent améliorer la robustesse de leur santé.

Une pratique sportive convenable produit des effets sur le métabolisme des cellules et des organes. Elle stimule la respiration, la circulation sanguine et renforce la combustion interne. En d'autres termes elle permet d'activer la partie interne du corps. C'est pourquoi une pratique sportive appropriée peut stimuler de manière certaine les cellules, favoriser la croissance des jeunes, et renforcer le corps. Pour les adultes, elle permet de maintenir la force et la santé. Si la pratique sportive n'est pas appropriée, les résultats sont inverses. Une activité sportive trop intense peut non seulement nuire à la santé mais aussi endommager le corps, c'est alors une cause de maladies.

Actuellement, les sports en général, même avant la fatigue, dilatent le cour en raison des difficultés respiratoires qu'ils entraînent. Il faut arrêter de faire du sport pour reposer le cour, réduire les difficultés respiratoires afin de restaurer un état normal.

L'étude des arts du poing chinois vise une méthode d'entraînement totalement opposée à cela. C'est un sport qui travaille sur les muscles, le sang et le Qi. On peut même dire que c'est un sport qui concerne concrètement les cellules. Lors de la pratique sportive; le principe est de développer également et simultanément toute les cellules et les organes. Même si pendant la pratique sportive les muscles du corps sont fatigués, le pouls reste régulier et contrairement aux autres sports, après la pratique, la respiration est libre et aisée. C'est en fonction des capacités et de l'endurance des muscles et du cour de chacun que l'on procède à un développement progressif et régulier, sans limite d'âge, de sexe, afin d'atteindre le but qui est de maintenir une bonne santé et de renforcer le corps.

De plus, comme il n'y a pas de façon de faire déterminée, le système nerveux n'est pas excité, stressé, ce qui permet de le rétablir. C'est aussi un point qui distingue l'art du poing des autres sports.

Les méthodes posturales, bien qu'elles consistent en se tenir debout sans bouger, font travailler les muscles et les cellules dès le départ. Elles sont appropriées au développement des cellules et à la circulation sanguine et à ce qu'on appelle le mouvement intérieur. On ne cherche pas le mouvement extérieur ce qui permet de développer également les organes et de restreindre les effets pervers atteignant le cour. Il faut savoir que concernant le mouvement dans l'étude de l'art du poing, les grand mouvements ne valent pas les petits mouvements, les petits mouvements ne valent pas l'immobilité, le mouvement dans l'immobilité est seul capable d'engendrer le mouvement éternel.

On peut dire que ce sport est un art particulier purement chinois. Pour autant il ne suscite pas l'attention de la plupart des gens. En même temps, ce n'est pas facile à comprendre subjectivement pour la plupart des gens. Si on se demande subjectivement comment le fait de tenir une posture sans bouger peut augmenter la force, et entraîner le corps, c'est qu'on est fondamentalement ignorant. La vérité est que cette posture immobile peut non seulement développer très rapidement la force mais elle permet aussi de guérir nombreuses maladies chroniques que la médecine ne peut traiter efficacement. Au niveau de la médecine préventive et curative, cette méthode a une valeur convenable, c'est une méthode sportive adaptée à la physiologie.

Pour ce qui est des sports ordinaires, certains sont si violents qu'ils peuvent nuire à la santé, d'autres sont déséquilibrés et ne développent le corps que localement. Au niveau physiologique, les personnes qui ont des problèmes de santé peuvent se rétablir naturellement dans leur vie quotidienne sans faire de sport alors que le sport peut les blesser à nouveau ou aggraver leur maladie, voire causer une mort prématurée. On voit bien que les sportifs célèbres et les jeunes qui obtiennent de brillants résultats sportifs sont sujets à des phénomènes anormaux en raison de leur retard dans la recherche. Dans le passé, des maîtres d'arts martiaux d'un âge avancé ont nuit à leur santé parce qu'ils pratiquaient avec détermination des sports contraires à la physiologie. Il faut savoir que la recherche n'a pas à suivre les sentiers battus en encore moins s'attacher aux imperfections, elle est basée sur l'expérimentation et la création. Mais il faut créer constamment et sans relâche sur la base des principes et de la réalité. Après quoi il convient de mettre en pratique. C'est pourquoi une bonne pratique sportive doit mettre en ouvre une intelligence concrète. C'est comme le fait de lire, acquérir des connaissances n'est pas la même chose que les appliquer. C'est pourquoi quoi qu'il arrive, un sport ne doit pas être trop intense. Si on se livre à une fine analyse, on constate que les sports actuels sont tous destinés aux jeunes et qu'ils négligent les personnes de plus quarante ans et les personnes âgées. En réalité il n'y a que les plus de quarante ans qui ont le savoir et l'expérience et qui peuvent accomplir de grandes tâches dans la société. Négliger les sports destinés à ces personnes revient à négliger leur santé ce qui cause de terrible dommages à l'État.

Pour ce qui est des principes du sport, le plus important est le calmele respect, et le réalisme. Il faut avoir un esprit fort. Ne pas couper son souffle, perturber son pouls ou tendre son diaphragme est facile à comprendre pour des personnes cultivées. Et même si pour des personnes de plus de 60 ans, il est assez difficile d'acquérir de grands résultats sur le plan martial, améliorer sa santé n'est pas très difficile.

La pratique vise trois objectifs :

     
  • 1) renforcer la santé
  • 2) l'auto-défense
  • 3) la compréhension des règles de la nature.

Rechercher l'hygiène corporelle pour que le corps soit en bonne santé est le plus facile. Il suffit d'être confortable, naturel, de ne pas utiliser de force, comme si le corps était allongé dans l'eau ou dans l'espace pour dormir, pour obtenir de bons résultats. Si on cherche à faire autrement, on va déranger esprit et si on cherche plus d'intensité on va influencer voire nuire à sa bonne santé et à sa vie. La pratique sportive permet d'obtenir un corps en bonne santé et robuste. L'étape suivant est l'auto défense. L'auto défense n'est autre que le fait, lorsqu'on subit une attaque, de triompher en n'utilisant qu'un poing et un demi pas. C'est un prodige difficile à qualifier avec les mots et c'est encore plus vrai lorsqu'on atteint un niveau exceptionnel

Mais l'auto défense est nécessairement liée à l'hygiène corporelle. Il faut d'abord être en bonne santé, puis acquérir agilité, force et maîtrise technique afin de se mouvoir à volonté.

Mais pour obtenir la force, il ne faut pas rechercher la force. Dès qu'on utilise la force, on ruine tout espoir d'obtenir de la force. C'est l'agilité du corps, la rapidité des mouvements qu'il faut chercher. Pendant l'entraînement, le mieux est de ne pas bouger. Pour ceux qui considère que c'est sans intérêt, contrariant et fatiguant, il est permis d'effectuer de petits mouvements. Il faut cependant savoir que lorsqu'on bouge il faut bouger tout en ayant l'impression qu'on ne peut pas bouger, s'arrêter de bouger tout en voulant continuer à bouger. De même il est permis de déclencher le mouvement, mais pas de le réaliser. Cela signifie que l'intention spirituelle doit être profonde mais elle ne doit pas se manifester extérieurement.

C'est pourquoi on dit que la forme disperse la force, l'absence de forme concentre l'esprit. Si le corps est cassé, la force se disperse c'est pourquoi plus c'est lent mieux c'est. C'est de cette façon que l'on peut progressivement faire l'expérience de la manière dont travaillent les membres, les os et les cellules. Il ne faut pas être indifférent ou se laisser aller. Ce sont les conditions d'étude les plus simples. Si on cherche la beauté de la vitesse, l'apparence d'agilité, rien ne peut être obtenu, au contraire, c'est peine perdue.

Pour ce qui est de techniques utilisées pour vaincre l'ennemi, il ne faut s'attacher à aucune méthode. Si on se sert de méthodes élaborées on perd la capacité de s'adapter aux changements infinis.

Cette sorte de sport est extrêmement simple et aisé, on le comprend d'un seul coup d'oil, les progrès sont très rapides, mais il ne faut pas avoir de tension mentale, ni utiliser de force, ni gaspiller son temps, mais cultiver de bonnes habitudes de vie bénéfiques pour le corps et propice au gain d'efficacité. Si on cherche à ruser, à apparaître fort et autoritaire rien ne pourra être accompli en définitive.

Bien que ce sport soit aisé, il y a des personnes particulièrement intelligentes qui ressentent de plus en plus de difficultés au fur et a mesure de leurs études. Bien qu'ils s'entraînent toute leur vie, ils manquent de discernement. Il faut savoir que la norme du cosmos est l'exception. Si on met de côté la norme pour étudier l'exception, on fera immanquablement fausse route. (voir notes du traducteur en bas de page)

Pour ce qui est de l'intérêt de l'étude, il est sans fin, c'est un sujet tellement vaste qu'il est difficile de savoir par où commencer. Il vaut mieux prendre un ou deux principes et inviter chacun à venir les étudier et en débattre.

Par exemple, mouvement et immobilité, vide et plein, vitesse et lenteur, décontraction et tension, avancer et reculer, s'opposer et esquiver, verticalité et horizontalité, haut et bas, affronter et céder, vigueur et langueur, ébranler et osciller, ouvrir et fermer, allonger et rétrécir, contenir et étendre, avancer et s'arrêter, absorber et rejeter, yin et yang, oblique et droit, long et court, grand et petit, dur et doux.

Tout ceci exprime la contradiction des contradictions, la complexité des imbrications réciproques, la fusion fondamentale des fusions fondamentales.

Il convient encore de se retourner intérieurement pour étudier l'origine. On ne peut se détacher de tout cela. Si on s'en détache, on ne pourra jamais connaître la véritable signification de ce sport.

Au sein de ce sport, la détente est en réalité la tension, la tension est en réalité la détente, et il ne faut être excessif ni dans l'un ni dans l'autre. La plein n'est autre que le vide, le vide n'est autre que le plein, et il faut maintenir l'équilibre entre vide et plein. L'origine est la verticalité et l'horizontalité qui se soutiennent mutuellement. Attaquer, se retourner, perforer et s'écarter, voilà ce qu'il faut accomplir simultanément.

qui vient d'être dit est adressé aux débutants. Si on ne s'entraîne pas selon ces principes,  on pourra s'entraîner toute sa vie sans rien connaître. Si dans l'étude on se conforme à ces principes, l'étude sera inépuisable.

Pour ce qui est d'essayer la force, de mettre la force en mouvement, d'émettre la force, de recueillir la force, et de toutes les forces que l'on peut imaginer, avec ou sans forme, c'est quelque chose de trop riche pour être exprimé avec des mots. Puisqu'on ne peut en parler, on ne peut que chercher progressivement, étudier et approfondir. En réalité, au tout début, on aura un sentiment d'ordinaire, de facilité extrême, car c'est un sport simple, à la portée de tous, un sport sans dogme où l'on s'adapte à l'ordre des choses. Si l'on peut s'appuyer sur cela, on pourra progresser dans la compréhension.

Dans l'étude des arts martiaux, il ne s'agit pas d'étudier ce que l'on peut faire avec un poing ou un pied. Il ne s'agit pas non plus de frapper trois coups lorsqu'on en reçoit deux, ou encore d'apprendre enchaînement sur enchaînement, mais de s'adapter aux circonstances.

Les arts martiaux s'intéressent principalement à la santé. L'auto défense vient après. La pratique martiale permet aux personnes atteintes de nombreuses maladies chroniques, pour lesquelles les médicaments sont sans effet, de retrouver la santé. Elle permet aux personnes usées par le travail et qui ont perdu leur capacité de travail, de retrouver du travail. C'est là que se trouve la vraie valeur des arts martiaux. On peut dire qu'un tel art martial est un repos dans le sport, un sport dans le repos.

L'auto défense est liée aux changements dans le combat. Étudier le combat, ce n'est pas contrairement à ce que l'on pense généralement dans la société, apprendre comment utiliser cette main et apprendre comment manier cette autre main. C'est à la fois plus compliqué et plus facile. Le plus important est la progression, entraîner le corps et l'esprit, tester et émettre la force, étudier pas à pas. Ce n'est que de cette façon que l'on peut progresser dans l'étude de l'art du combat. Dans le cas contraire, j'ai bien peur que l'on ne finisse par rien accomplir.

Tester la force (shi li). La force est difficile à exprimer et à posséder. Il convient de la tester avant de la comprendre, et il faut la comprendre avant de pouvoir l'utiliser. Quel que soit l'exercice pratiqué, il faut savoir que la forme ne doit pas casser la structure du corps, que la pensée ne peut se matérialiser, et que la force n'a pas d'aboutissement. Dès que la force a une direction, elle a un aboutissement, elle est pauvre, partielle, incomplète, le mouvement est alors raide et maladroit et l'efficacité de la force s'en trouve diminuée. La force est alors casée et dispersée. C'est comme dans un combat de taureaux, la force tend à être raide. Le test de force doit être fait au moyen de l'imagination. L'imagination est sans forme, spirituelle, elle peut être conservée éternellement, elle ne peut être cassée et elle n'a pas de direction. Dans l'étude de l'art martial, tout vient du vide. S'il y a une forme, la force se disperse. Sans forme, l'esprit se concentre. L'esprit et la pensée doivent s'accomplir, il ne s'agit pas de reproduire des formes avec le corps.

Émettre la force (fa li). Si on veut mettre en mouvement la force, il faut comprendre son origine. Une fois que l'on a compris la force, on doit pouvoir s'harmoniser avec la force de la nature. Une fois que l'on peut trouver l'harmonie naturelle, on peut utiliser la détente et la tension comme une vague. Lors de l'émission de force, il n'est pas important de savoir si on a réussi à attaquer ou non. Il faut plutôt observer si la force émis par son corps est équilibrée et égale d'avant en arrière, de gauche à droite et de haut en bas, si la force est concrète, en spirale, imbriquée et sans direction, si elle est souple et légère, précise, si c'est une force inerte qui trouve la vitesse dans la lenteur, si elle peut être mise en mouvement instinctivement, naturellement, sans le savoir.

Si on remplit ces conditions on peut espérer étudier l'art martial. Quant à savoir si on pourra vraiment apprendre, c'est une autre question.

copyright©Christophe.Lopez (traducteur) juillet 2007

Notes du traducteur:

  • "Il faut savoir que la norme du cosmos est l'exception. Si on met de côté la norme pour étudier l'exception, on fera immanquablement fausse route."
  • On pourrait traduire l'expression de cette manière : au sein de l'univers, ce qui est ordinaire (normal) est en fait exceptionnel. Donc ce qui est normal pour l'univers, la nature, est exceptionnel (pour les hommes?). Ce qui est normal pour les hommes, ce qui n'est pas exceptionnel pour nous, ne peut donc être la norme universelle.
  • Ainsi, pour comprendre l'univers il faut être capable d'appréhender l'exceptionnel. En d'autres termes, le fonctionnement de l'univers n'est pas à notre portée. C'est le seul sens que je vois là dedans, car ça ressemble beaucoup à la thèse taoïste: La voie qui peut être nommée n'est pas la voie éternelle, le nom qui la désigne n'est pas le nom éternel...